Par une décision n° 442953 du 21 avril 2022 « Association pour le développement durable de l’Ouest ornais et de ses environs », mentionnée aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’État a annulé une autorisation environnementale délivrée pour la construction et l’exploitation d’un parc de 6 éoliennes au motif que cette autorisation n’était pas cohérente avec les orientations fixées par la charte du parc naturel régional (PNR). La haute juridiction apporte ainsi un éclairage sur l’articulation entre les dispositions de ces chartes et les demandes d’autorisation portant sur les installations classées pour la protection de l’environnement au sein des PNR concernés. L’arrêt du 21 avril 2022 précise qu’il incombe à l’autorité chargée de l’instruction d’une demande d’autorisation d’exploiter une ICPE de veiller à ce que sa décision soit en cohérence avec la charte du PNR (I). Toutefois, les conséquences concrètes de cette obligation pour les projets ICPE doivent être nuancées (II).
I. La décision prise par l’autorité administrative saisie d’une demande d’autorisation ICPE doit être cohérente avec la charte du PNR
Le rappel de l’obligation générale de cohérence des décisions administratives avec la charte du PNR
Destinée à orienter l’action des pouvoirs publics, la charte d’un PNR1 détermine les orientations de protection, de mise en valeur et de développement du parc. Elle comporte les mesures et engagements pour les mettre en œuvre.
Il appartient dès lors à l’État et aux collectivités territoriales adhérant2 à la charte d’un PNR « de prendre les mesures et de mener les actions propres à assurer la réalisation des objectifs de la charte et de mettre en œuvre les compétences qu’ils tiennent des différentes législations, dès lors qu’elles leur confèrent un pouvoir d’appréciation, de façon cohérente avec les objectifs ainsi définis » (CE, 8 février 2012, « UNICEM », n° 321219, Rec. Leb.)3.
Cette obligation de cohérence vaut tout à la fois vis-à-vis des orientations de protection, de mise en valeur et de développement que la charte détermine (qui ont nécessairement une portée générale), que vis-à-vis des mesures permettant de les mettre en œuvre (lesquelles peuvent être précises et se traduire par des règles de fond).
Ainsi, lors de l’examen d’une demande d’autorisation relative à une ICPE située au sein d’un PNR, l’autorité administrative saisie devra apprécier la cohérence du projet avec la charte couvrant cette zone et, le cas échéant, les mesures prises pour sa mise en œuvre.
L‘obligation de cohérence avec la charte appliquée aux ICPE
Dans la décision commentée, le Conseil d’État précise la méthodologie que doit appliquer l’administration lorsqu’elle est saisie d’une demande d’autorisation d’implanter ou d’exploiter une ICPE au sein d’un PNR.
Dans un tel cas, « elle doit s’assurer de la cohérence de la décision individuelle ainsi sollicitée avec les orientations et mesures fixées dans la charte de ce parc et dans les documents qui y sont annexés, eu égard notamment à l’implantation et à la nature des ouvrages pour lesquels l’autorisation est demandée, et aux nuisances associées à leur exploitation ».
Cette notion de « cohérence » implique « une approche à la fois souple (en n’annihilant pas la marge de manœuvre que doit conserver l’autorité administrative dans l’exercice de ses compétences), globale (en mettant en regard et en conciliant, le cas échéant, les différents volets et objectifs de la charte) et dynamique (…) puisqu’il s’agit, loin d’une lecture pointilliste, de faire prévaloir un projet de territoire, défini pour une durée de quinze ans »4.
A cet égard, la notion de cohérence est distincte des notions de conformité et de compatibilité, lesquelles impliquent un rapport plus strict à la lettre de la règle.
II. Les caractéristiques de l’obligation de cohérence des autorisations ICPE avec la charte du PNR
Une obligation porteuse de contraintes effectives
Le présent litige portait sur une autorisation d’exploiter délivrée pour un parc de 6 éoliennes au sein du PNR Normandie-Maine. La charte de ce dernier distinguait la zone centrale qui devait être préservée et les autres secteurs dits « paysages quotidiens ». Au sein de ces derniers, figurait un objectif tendant à « favoriser le développement éolien raisonné ». Était également indiqué que « le parc cherche à optimiser la cohérence des implantations d’éoliennes et que, dans ce but, il s’appuie sur des enjeux paysagers tels que le respect des éléments identitaires du territoire ».
Les requérants se prévalaient des termes de cette charte devant la CAA de Nantes, qui avait écarté ce moyen en considérant qu’une charte de PNR n’avait pas pour objet de déterminer les règles « touchant à l’affectation et à l’occupation des sols et ne pourrait contenir des règles, de fond ou de procédure, opposables aux tiers » (CAA Nantes, 19 juin 2020, n° 18NT04495, point 60).
Le Conseil d’État censure ce raisonnement en considérant que la cour aurait dû « rechercher si l’autorisation d’exploitation litigieuse était cohérente avec les orientations fixées par cette charte et les documents qui y sont annexés »5.
Des contraintes à nuancer
S’il faut comprendre que la portée juridique de la charte d’un PNR est contraignante pour toutes les demandes d’autorisation ICPE, ces contraintes dépendront toutefois de la nature des orientations et des mesures déterminées par la charte et ses textes de mise en œuvre ainsi que des termes employés par ceux-ci.
Par ailleurs, le Conseil d’État rappelle utilement les limites relatives à la portée juridique des chartes des PNR et de leurs prolongements normatifs :
- ils ne peuvent imposer des obligations directement aux tiers (par exemple en créant des servitudes) ;
- ils ne peuvent subordonner les demandes d’autorisations ICPE à des obligations de procédure autres que celles prévues par la législation en vigueur ;
- le rapport de cohérence ne joue pas dans le cas où les dispositions de la charte méconnaîtraient les règles posées par la réglementation régissant les ICPE (par exemple les obligations résultant des arrêtés ministériels de prescriptions générales applicables à chaque ICPE).
Conseil opérationnel : les porteurs de projet et leurs bureaux d’études devront vérifier, dès la phase de faisabilité d’une ICPE située dans le périmètre d’un PNR, la cohérence du projet avec les orientations et mesures fixées dans la charte ainsi que les documents annexés.
Quelques précisions
1 Ces PNR peuvent être créées par la région afin de préserver le patrimoine culturel et naturel d’un site ou les paysages qui présentent un intérêt particulier (article L. 333-1 et R. 333-1 c. env.). Il en existe 58 en France.
La charte d’un PNR est approuvée par les collectivités et signée par l’État. Ces derniers en sont donc adhérents.
2 La charte traduit le projet du PNR et comporte un rapport déterminant les orientations de protection, de mise en valeur et de développement, ainsi que les engagements correspondants, un plan indiquant les différentes zones du parc et leur vocation ainsi que des annexes.
3 Cette décision avait amendé la jurisprudence n° 198124 du 27 février 2004 « Centre régional de la propriété foncière de Lorraine-Alsace et autres » du Conseil d’État qui considérait que les dispositions de la charte n’étaient pas directement opposables aux tiers, pas plus qu’aux demandes d’autorisation d’utilisation ou d’occupation des sols.
4 Conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public sur l’affaire n° 442953.
5 L’affaire a été renvoyée devant la CAA de Nantes.
Abréviations
CAA : cour administrative d’appel
PNR : parc naturel régional
ICPE : installation classée pour la protection de l’environnement